Bangladesh : un an de sursis pour l'Accord 2018

21 Mai 2019 | santé et sécurité
Bangladesh : un an de sursis pour l'Accord 2018

La décision, tant attendue depuis près de 18 mois, est enfin tombée : l’Accord 2018 sur la prévention incendie et la sécurité des bâtiments est autorisé à maintenir ses activités encore pendant un an. Des garanties solides seront nécessaires pour continuer à assurer la sécurité de millions de travailleur·euse·s.

Pour rappel, l’Accord Bangladesh sur la prévention des incendies et la sécurité des bâtiments a vu le jour suite à l’effondrement du Rana Plaza en 2013 et à son lourd coût humain. L’Accord 1 puis l’Accord 2 ont permis de réelles avancées en matière de sécurité pour les travailleuses du secteur de l’habillement. Ces « Accord » concernent plus de 2 millions d’entre elles et comptabilisent ensemble plus de 35.000 inspections initiales et de suivi et totalise 1.068 usines qui ont remédié à plus de 90 % aux problèmes détectés et 227 usines qui y ont remédié à 100%. A côté de cela, plus de 1.000 comités de sécurité ont été installés dans les usines et plus d’1,6 million de travailleuses ont été formées sur la sécurité et sur leurs droits. Pourtant, l’Accord était mis en depuis depuis le mois de novembre 2018 et faisait l’objet d’une procédure devant le Cour Suprême du Bangladesh.

À lire : Accord 2018 menacé, travailleur·euse·s en danger.

Dans ce contexte et à ce jour 37 marques signataires de l’Accord du monde entier ont exprimé des inquiétudes par rapport au procès en instance et ont publiquement marqué leur soutien au maintien des activités de l’Accord depuis le Bangladesh. Parmi elles, des grandes marques dont Esprit, H&M, Zara, Benetton, Hema, Hunkemöller. On retrouve des marques belges comme Cassis & Paprika, C&A et Bel-Confect ou encore JBC.

Après plusieurs reports d’audience et 6 mois d’incertitude, une issue est intervenue suite à la conclusion d’un Protocole d’Accord (MoU) entre l’Accord et la BGMEA (Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association, la fédération patronale du secteur du prêt-à-porter au Bangladesh). Il s’agirait de mettre en place progressivement une nouvelle institution nationale qui reprendrait les fonctions d’inspection et de remédiation de l’Accord. L’Accord Bangladesh, pourra continuer à exercer ses activités depuis le Bangladesh pendant une période transitoire d’environ un an[4] en collaboration avec une unité de la BGMEA. Si achACT a appelé une telle transition planifiée de ses vœux, des inquiétudes et des zones d’ombre sont de mise quant à l’efficience du mécanisme provisoire mis en place et de la nouvelle institution qui succèdera ensuite à l’Accord. Des représentants syndicaux du Bangladesh, comme Babul Akhter, ont également exprimé leurs craintes par rapport au maintien de l’indépendance de l’Accord, au pouvoir donné aux patrons d’usines et aux mauvaises conséquences qu’aura ce Protocole d’Accord.

Une situation flou et des inquiétudes

La Clean Clothes Campaign, réseau international d’achACT, analyse actuellement les conséquences de ce Protocole d’Accord et a partagé ses questions et inquiétudes avec le Comité de direction de l’Accord. Celles-ci concernent notamment le rôle de l’unité de la BGMEA qui opérera à partir du bureau de l’Accord à Dhaka durant la période transitoire. Cela pose question sur l’indépendance des décisions prises par l’équipe de l’Accord. Une présence visible de représentants d’employeurs au sein des bureaux même de l’Accord peut entamer la confiance des travailleuses par rapport au mécanisme de plainte, l’un des éléments les plus importants de l’Accord.[5] Une collaboration entre cette unité de la BGMEA et l’Accord est par ailleurs prévue dans des domaines extrêmement sensibles tel que l’examen des plans d’actions correctifs. Cette démarche est aujourd’hui sous l’autorité exclusive de l’inspecteur en chef de l’Accord. Dans une communication récente à la presse, la BGMEA elle-même semble suggérer que la fermeture et la mise aux normes des usines ne pourra pas se faire sans son accord. De la clarté est donc nécessaire et urgente sur ce point.

Quant à la nouvelle institution qui prendrait le relai de l’Accord, le flou est de mise sur ses futures structures de décision, sur son financement et sur ses capacités de contrainte. Par exemple : est-ce que les syndicats continueront d’avoir le même poids et la moitié des votes dans les prises de décisions ? Les marques contribueront-elles toujours au financement et aux mesures qui devront être mise en place ? Que pouvons-nous espérer du caractère contraignant et du degré de transparence de la nouvelle institution puisque les patrons d’usines seraient eux-mêmes directement impliqués dans leur contrôle et que les ONG seraient apparemment exclues ? Ces incertitudes justifient nos inquiétudes sur l’efficience à propos du nouveau mécanisme dans un pays où le droit à la liberté fondamentale de s’associer et de s’exprimer restent fortement mis à mal.

Garanties nécessaires pour l’avenir

Nous espérons que le nouveau système fonctionnera sur base des mêmes principes et des mêmes critères qui ont fait de l’Accord une initiative crédible et fructueuse pour la sécurité des travailleuses.

Pour achACT, voici les garanties qui seront nécessaires :

  • Des inspections de qualité, transparentes et indépendantes ;
  • Des mécanismes de plainte qui permettent aux travailleuses de défendre leur droit à la sécurité et leurs intérêts face à leur direction – sans crainte de représailles ;
  • Des mécanismes solides et fiables permettant aux syndicats de faire respecter le système mis en place par la nouvelle institution.

achACT et la Clean Clothes Campaign continueront à exercer leur nécessaire vigilance, que ce soit dans le cadre de l’Accord transitoire actuel ou vis-à-vis d’une nouvelle structure. Il en va de la sécurité de millions de travailleuses.

achACT continuera également de soutenir les travailleuses en lutte pour que leurs droits humains soient respectés. Notamment, leur droit à la vie et à l’intégrité physique, qui est au cœur de l’Accord, mais aussi leur droit à un salaire vital et leur droit de s’associer librement et de négocier collectivement. Droits qui sont aujourd’hui loin d’être garantis du fait d’une grave répression qui sévit au Bangladesh depuis décembre 2018.