Maroc, tragédie dans un atelier de confection informel

25 Fév 2021 | santé et sécurité
Maroc, tragédie dans un atelier de confection informel

Lundi 8 février, au moins 28 travailleur·euses de l’habillement sont mort·es à la suite de fortes inondations dans un atelier informel à Tanger, au Maroc. Nos pensées vont aux familles des victimes et aux travailleur·euses survivant·es.

Cette tragédie montre qu’il est urgent d’améliorer les conditions de travail dans l’industrie marocaine de l’habillement. Le drame rappelle également l’urgence de conclure un accord international contraignant sur la sécurité des usines qui puisse tenir les marques, les enseignes et les propriétaires d’usines responsables de la mise en place de conditions de travail sûres et saines. Les premiers rapports sur l’incident indiquent qu’au moins 19 femmes et 9 hommes âgés entre 20 et 40 ans sont mort·es après un court-circuit provoqué par les fortes pluies dans la région, qui ont inondé de nombreux lieux et maisons au niveau de la rue. Une enquête judiciaire a été ouverte pour déterminer les circonstances de la tragédie et clarifier les responsabilités.

Cette tragédie met une fois de plus en évidence les conditions de travail lamentables dans une industrie mondiale employant une main-d’œuvre majoritairement féminine, où la précarité des relations de travail, le manque de transparence et l’impunité restent endémiques.
« On dit que ce sont des usines illégales, mais en réalité tout le monde sait qu’elles existent et qu’il s’agit d’entreprises bien connues. Nous les appelons des usines clandestines parce qu’elles ne respectent pas les conditions de sécurité les plus minimales ni les droits du travail », a expliqué Aboubakr Elkhamilchi, membre fondateur de l’organisation marocaine Attawassoul, au journal Ara.
M. Elkhamilchi, qui coopère étroitement avec les membres de la Clean Clothes Campaign en Espagne, a commenté : « Il y a une famille qui a perdu quatre filles (…) Nous savions que les conditions de sécurité étaient très mauvaises dans de nombreux ateliers clandestins, mais nous n’imaginions pas la grave insécurité que vivaient ces travailleur·euses. Nous allons continuer à enquêter sur cette affaire, avec [les organisations du réseau CCC] Setem et [Campaña] Ropa Limpia, afin de pouvoir obtenir des preuves solides ».

Ce drame doit être un signal d’alerte pour les marques et les enseignes qui s’approvisionnent au Maroc afin qu’elles assument la responsabilité des conditions de travail des travailleur·euses qui fabriquent leurs vêtements, en améliorant les conditions de travail dans les usines des fournisseurs marocains, en s’engageant à respecter un accord international contraignant sur la santé et la sécurité, et, dans le cas où une marque serait identifiée comme s’approvisionnant précisément dans cet atelier informel, en garantissant la justice pour les travailleur·euses et leurs familles.

POUR ALLER PLUS LOIN…

La nécessité d’un accord international contraignant sur la sécurité

Cette tragédie montre la nécessité d’efforts concertés dans l’industrie pour améliorer la sécurité des usines et les conditions de travail saines. L’effondrement de l’usine Rana Plaza au Bangladesh en 2013, qui a tué plus de 1 100 travailleurs, a permis de conclure un Accord contraignant sur la sécurité des bâtiments et les incendies qui a amélioré la sécurité des usines pour plus de 2 millions de travailleur·euses dans le pays. Actuellement, les syndicats et les organisations de défense des droits des travailleur·euses demandent que ce programme se transforme en un accord international contraignant, qui pourrait être utilisé pour mettre en œuvre et appliquer les mêmes niveaux de santé et de sécurité dans les filières d’approvisionnement de vêtements partout dans le monde.
Les phénomènes météorologiques extrêmes, notamment les fortes pluies qui ont très probablement causé cet incident, coûtent déjà des vies et détruisent les moyens de subsistance, et se produiront plus souvent dans le sillage du changement climatique et de la hausse des températures. Les marques et les enseignes ont la responsabilité de garantir un lieu de travail sûr et sain. Bien que cela ait toujours été un défi, les menaces combinées du changement climatique et celles d’une pandémie mondiale rendent une approche concertée en matière de santé et de sécurité au travail encore plus urgente. Les marques et les enseignes peuvent remplir cette obligation en s’engageant pour permettre de créer des conditions de travail sûres et saines pour les travailleur·euses de leurs filières d’approvisionnement.

Les conditions de travail au Maroc

Cette tragédie met en évidence les mauvaises conditions de travail dans une zone de production de vêtements moins connue, située directement à la frontière européenne. Selon l’association patronale marocaine (AMITH), sur les 1 000 millions de vêtements qui sont fabriqués dans le pays chaque année, 600 millions sont produits dans des usines sous-traitées par des entreprises étrangères. Les principales destinations des exportations marocaines de vêtements sont l’Espagne, la France, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Portugal.
Une étude récente publiée par Setem Catalunya et Attawassoul, membres de la Clean Clothes Campaign, a montré que 47 % des personnes interrogées travaillaient plus de 55 heures par semaine pour un salaire mensuel d’environ 250 euros, que 70 % n’avaient pas de contrat de travail et que jusqu’à 88 % des personnes interrogées affirmaient ne pas jouir du droit à la syndicalisation. Ces chiffres sont d’autant plus choquants qu’ils concernent les travailleurs des usines officielles, sous la surveillance d’auditeurs engagés par les grandes entreprises de confection. La situation est pire dans les usines et les ateliers clandestins qui, selon la Confédération générale des employeurs du Maroc (CGEM), représentent plus de la moitié de la production du « textile et du cuir » marocain.