Durable, éthique, responsable… Qu’en est-il des conditions de travail dans les filières de confection du jeans ?

Rencontre avec Bego Demir, Temiz Giysi, Clean Clothes Campaign Turkey

La filière du jeans n’échappe pas au modèle d’exploitation prédominant dans l’industrie de l’habillement. Les enjeux sociaux liés à sa fabrication sont de taille.

Parmi les pays producteurs de jeans figure la Turquie. Bego Demir y était sableur de jeans. Pendant des années, il a pulvérisé du sable à très haute pression pour obtenir cet effet usé si prisé. Il l’a payé de sa santé et s’engage depuis pour de meilleures conditions de travail dans l’industrie de l’habillement. Nous l’avons rencontré :

Bego, du sableur de jeans au défenseur des droits du travail, quelle a été ta trajectoire ? J’ai commencé à travailler dans le sablage de jeans à l’âge de 15 ans. En 2007, on m’a diagnostiqué la silicose, une maladie incurable qui m’a coûté 46,2% de mes poumons. Reconnue internationalement comme maladie professionnelle, les travailleurs en Turquie ne pouvaient bénéficier d’aucuns droits car la plupart d’entre eux sont des travailleurs informels. J’ai voulu combattre cette injustice. En 2008, j’ai lancé le Solidarity Committee of Sandblasting Laborers et nous avons réussi à faire interdire le sablage en 2009. Comme le problème dépassait le pays, avec la Clean Clothes Campaign, nous avons fait pression sur les entreprises. En 2011, 100 enseignes ont alors déclaré qu’elles n’utiliseraient pas le sablage dans leurs filières. Depuis, nous plaidons et sensibilisons pour les droits des travailleuses et travailleurs de l’habillement en Turquie et ailleurs.

Quelles sont les conditions de travail aujourd’hui dans les ateliers turcs de confection ?  Depuis que le sablage est interdit, le Permanganate de potassium est massivement utilisé pour délaver les jeans alors que l’Agence européenne des produits chimiques l’a classé parmi les produits dangereux. Plus généralement, on retrouve en Turquie les mêmes mécanismes d’exploitation qui sévissent dans l’industrie. Si un peu plus d’1 millions sont enregistrés dans le secteur, le travail informel fait tripler ce chiffre. Les salaires sont extrêmement bas : le salaire minimum est sous le seuil de pauvreté. « J’ai des dettes. Sans les heures supplémentaires, je finis à découvert. Quand les enfants commencent l’école, je travaille plus pour pouvoir vivre. » témoigne un travailleur. Aussi, les discriminations sont fréquentes, particulièrement pour les femmes, les travailleurs migrants et les travailleurs syndiqués.

Que peut-on faire pour changer les choses ? Plus récemment, je voulais montrer comment produire de façon responsable en lançant ma marque Bego Jeans. Si on vise une transformation durable, les marques de mode devraient être transparentes sur leurs filières. Elles devraient payer un salaire vital aux travailleurs et elles devraient être responsables de leurs filières sous-traitantes. La législation sur le devoir de vigilance des entreprises devrait rendre cette responsabilité obligatoire. Les consommatrices et consommateurs ont un rôle à jouer en faisant pression à la fois sur les entreprises et le politique.