Accord Bangladesh, retour sur une avancée historique

Le nombre de victimes, l’horreur et l’émotion suscitée par la catastrophe du Rana Plaza a fait plier les entreprises. Quelques mois après l’effondrement de l’usine, 200 marques et enseignes acceptaient de participer à un grand programme de sécurité des usines au Bangladesh: l’Accord sur les incendies et la sécurité des bâtiments. Cette avancée est historique pour l’industrie textile. Mais il y a encore à faire et l’Accord Bangladesh a une date d’expiration: le 31 mai 2021. Loin de l’émotion, la sécurité des travailleur.euse.s aurait-elle une date limite ?

Accord Bangladesh, retour sur une avancée historique

Drame après drame, nécessité d'agir

Le 24 avril 2013, l’industrie de l’habillement a connu sa tragédie la plus meurtrière. L’effondrement du Rana Plaza, cet immeuble qui abritait 5 usines de confection de vêtements, s’est effondré à 9h heure locale, et a emporté la vie de 1138 personnes et en a blessées plus de 2000.

Les usines produisaient pour des marques et enseignes nord-américaines et européennes bien connues telles que Benetton, Mango, The Children’s Place, KiK, Primark, Walmart et Inditex, la société mère de Zara.Le drame a mis en lumière aux yeux du monde entier l’extrême vétusté des bâtiments dans lesquels les travailleuses et travailleurs de la confection devaient travailler.

Quelques mois avant cela, en novembre 2012, au moins 112 travailleur·euses ont perdu la vie et des centaines ont été gravement blessés dans l’incendie de Tazreen Fashions, une usine de confection près de Dhaka. De nombreux travailleur·euses ont sauté du bâtiment de neuf étages, essayant d’échapper aux flammes. D’autres ont été brûlés vifs. Les sorties de secours étaient soit absentes, soit fermées. Tazreen produisait des vêtements pour des marques connues telles que C&A, KIK, Walmart, Disney, Dickies et ENYCE.

Durant des années, les syndicats bangladais et les ONG internationales, dont la Clean Clothes Campaign (CCC), coordonnée par achACT en Belgique francophone, ont exigé un plan de mise en œuvre pour améliorer concrètement la sécurité au travail dans les usines bangladaises. Afin que les mesures de protection dans les usines textiles soient efficaces et durables, la mise en place d’un Accord sur la protection contre les incendies et la sécurité des bâtiments a été initiée en 2011. En 2012, le groupe PVH (Tommy Hilfiger/Calvin Klein) et Tchibo étaient les premières entreprises à signer cet accord. À ce stade, la démarche était plutôt marginale et l’industrie de l’habillement au sens large étaient encore loin de s’engager pour une véritable amélioration de la sécurité au travail dans les usines textiles.

Après ces deux nouvelles tragédies, l’incendie de l’usine Tazreen et l’effondrement du Rana Plaza, la pression de l’opinion publique envers les entreprises textiles produisant au Bangladesh est devenue si grande que plusieurs marques se sont décidées à faire un premier pas concret.

Un Accord historique sur la sécurité des bâtiments

En collaborant avec les organisations syndicales internationales, la CCC a trouvé des partenaires influents. Avec leur appui, elle a pu élaborer un projet d’Accord sur la sécurité des bâtiments largement soutenu. La proposition a abouti en mai 2013. L’Accord sur les incendies et la sécurité des bâtiments au Bangladesh (Accord on Fire and Building Safety in Bangladesh) est le premier accord juridiquement contraignant dans ce domaine. La CCC a participé de manière déterminante à son élaboration, l’a signé en tant qu’organisation témoin et surveille de près et façon critique sa mise en œuvre.
Conclu entre les syndicats internationaux IndustriALL, Global Union et UNI Global Union, plusieurs syndicats locaux et les grandes marques internationales, cet accord a une dimension à la fois préventive (en instaurant par exemple des inspections d’usines par des organes indépendants et des comités de travailleurs et travailleuses) et contraignante. Plus de 200 enseignes l’ont signé, et il concerne aujourd’hui 1600 fabriques qui emploient plus de 2 millions de personnes au Bangladesh.

Un accord sans précédent

Cet accord est et restera un jalon important pour l’industrie textile puisqu’il s’agit du premier accord juridiquement contraignant visant la protection de la santé et de la sécurité au travail. Il est également unique par son envergure, les obligations et la transparence auxquelles il contraint les entreprises signataires.
Ce programme de cinq ans recouvre des engagements concrets tels que :

  • La mise en œuvre d’une inspection crédible, indépendante et transparente de la sécurité des bâtiments endéans les deux premières années du programme.
  • L’obligation de réaliser les réparations et rénovations inscrites dans les rapports d’inspection.
  • La garantie des emplois et des revenus des travailleur·euses durant la période de fermeture des usines pour rénovation,
  • La formation des travailleur·euses et du management aux normes de sécurité.
  • La création de comités de sécurité et d’hygiène au sein de chaque usine.
  • La mise en place d’un mécanisme de plainte qui garantit l’anonymat et la sécurité des travailleurs·euses.
  • L’accord prévoit également la publication régulière de la liste consolidée des unités de production utilisées par les entreprises signataires, des rapports d’inspections et de rapports trimestriels qui synthétisent les résultats des inspections, les recommandations et les progrès constatés dans les usines inspectées.

Les entreprises signataires s’engagent en outre à exiger de leurs fournisseurs qu’ils participent à ce programme. Elles s’engagent à immédiatement arrêter toute relation commerciale avec les fournisseurs qui refuseraient. En signant cet accord de cinq ans, elles s’engagent également à continuer de s’approvisionner au Bangladesh sur le long terme.

Par ailleurs, les entreprises signataires doivent s’assurer que leurs fournisseurs disposent des moyens financiers nécessaires pour mettre en œuvre les réparations et rénovations exigées par les inspecteurs. Les entreprises signataires doivent également garantir les moyens financiers nécessaires à la bonne mise en œuvre de ce programme.
Le montant de la contribution annuelle de chaque entreprise sera proportionné à son volume d’achat comparé au volume d’achat de l’ensemble des autres signataires et est plafonnée à 500.000$ par entreprise.

2018, prolongation et renforcement

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En 2018, après les 5 premières années de mise en œuvre de l’Accord Bangladesh, il a été convenu de prolonger le programme jusqu’à ce que les autorités du Bangladesh soient prêtes à prendre en charge les inspections de sécurité. L’Accord de transition était encore plus fort que l’Accord initial : pour la première fois, il comprenait des engagements sur les indemnités de licenciement en cas de fermeture d’une usine, les inspections étaient étendues aux chaudières, les passages sur la liberté syndicale étaient renforcés.
L’accord a ainsi été prolongé de trois ans, jusqu’au 31 mai 2021.

L’Accord Bangladesh en danger

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Dès les débuts de la mise en œuvre de l’Accord, il était prévu que des institutions étatiques reprennent les fonctions de l’Accord au fur et à mesure que les structures nécessaires auraient été créées. Ce transfert de pouvoir est néanmoins survenu plus tôt que prévu, en juin 2019, sous la pression d’une association de professionnels propriétaires d’usine et après des plaintes de la part de certaines entreprises. L’accord reste en vigueur jusqu’en mai 2021 mais les tâches relatives à sa mise en œuvre ont été confiées à un nouvel organe dénommé RMG Sustainability Council (RSC) dès le 1er juin 2020.

Un manque de clarté a longtemps subsisté quant à la structure décisionnelle, aux processus de financement et aux capacités de la nouvelle institution de s’imposer face aux propriétaires d’usines. Ces facteurs sont pourtant déterminants pour garantir une mise en œuvre effective des dispositions contraignantes prévues par l’Accord sur les incendies et la sécurité des bâtiments au Bangladesh.

Six mois après l’entrée en fonction du RSC, la Clean Clothes Campaign a voulu savoir si celui-ci parvenait réellement à maintenir les standards élevés prévu par l’accord initial.

Des structures décisionnelles déséquilibrées

Les syndicats sont désormais minoritaires dans la nouvelle instance de décision, avec 6 des 18 sièges du comité, tandis que l’association des propriétaires d’usines et des enseignes en occupent 12.
En outre, le comité du RSC a refusé d’impliquer des acteurs de la société civile comme la Campagne Clean Clothes, le Workers Rights Consortium ou Global Labour Justice. Ces organisations bénéficiaient auparavant d’un statut d’observatrices leur permettant de vérifier si les obligations prévues étaient pleinement honorées. Elles sont désormais exclues de la nouvelle instance de décision du RSC et leur rôle d’observatrices indépendantes est ainsi limité.

Un manque de transparence

Bien que l’association des employeurs de l’industrie textile affirme que le RSC est très transparent, il manque sur son site web des informations qui étaient publiques du temps du bureau de l’accord : les plans de rénovation des usines, des rapports transversaux, ou encore les procès-verbaux des séances du comité. Or ces informations sont essentielles pour permettre aux acteurs de la société civile d’évaluer la sécurité dans les usines textiles.

Des inspections insuffisantes

Outre les effondrements de bâtiments, le manque de mesures de protection contre les incendies et l’absence de sorties de secours accessibles, les explosions de chaudières figurent parmi les principaux risques dans les usines. Bien que le RSC se soit engagé dans un programme de sécurité des chaudières, il n’existe pour l’instant aucune preuve de sa mise en œuvre. Des centaines de milliers de travailleuses et travailleurs sont ainsi toujours exposé·e·s au risque d’une explosion de chaudière.

L’absence de contrôles indépendants

Parmi les engagements les plus importants de la convention de transition entre le bureau de l’accord et le RSC figurait la désignation d’un·e responsable indépendant·e de la sécurité. Mais cet engagement n’a pas encore été honoré à ce jour. Pour garantir la qualité et la crédibilité du programme d’inspection, il est pourtant essentiel de nommer un·e responsable de la sécurité qui ait la même indépendance, autonomie vis-à-vis des exigences de rapports, et capacités de s’imposer face aux propriétaires d’usines que celles garanties et mises en œuvre par l’accord.

2021, pas d’expiration de la sécurité des travailleur·euses

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Au 31 mai 2021, l’Accord sur les incendies et la sécurité des bâtiments expirera. Aucun engagement fort des marques et enseignes n’annonce la signature d’un nouvel Accord contraignant sur les incendies et la sécurité des bâtiments au Bangladesh.

Les organisations syndicales locales, le réseaux Clean Clothes Campaign et des Fédérations syndicales internationales promeuvent aujourd’hui plus que jamais la signature d’un nouvel Accord pour poursuivre le travail entamé et garantir aux travailleur·euses un environnement de travail sûr.