Elle coud des vêtements pour Zara

Hong Chanthan du Cambodge

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Je m’appelle Hong Chanthan. J’ai 35 ans. J’ai commencé à travailler dans la confection à l’âge de 20 ans. J’ai travaillé dans différentes usines. Depuis 2007, je couds des pantalons pour une usine qui produit pour le groupe Inditex (Zara).

Je viens d’un village à 195 kilomètres de Phnom Penh. Ma famille travaillait dans les champs et cultivait le riz. On était 8 enfants. A la mort de mon père, il a fallu trouver une solution, un travail. Je n’ai pas eu d’autres solutions que de partir pour la capitale travailler dans une usine de confection.

Sur le contrat et suivant la loi cambodgienne du travail, il est noté que l’on travaille 8h par jour, 48h par semaine. Cela correspond aux standards de l’Organisation International du Travail. Mais, ce n’est pas la réalité. Notre quotidien, c’est 12 heures de travail par jour, six voire sept jours par semaine. On travaille même les jours fériés. Et, lorsqu’il y a des pics de production ou des commandes importantes, nous travaillons même jusqu’à 20h sur une journée. Et, bien évidemment, nous n’avons pas de congé payé.

Je n’ai pas de vie, pas de mari. Je vis dans un petit studio de 12 mètres carré à vingt minutes à pied de l’usine. Je vis avec une partie de ma famille. On loue le studio 50$ par mois. Cinq de mes sœurs travaillent elles aussi dans des usines. Tous les matins, nous nous levons à 5h pour nous préparer et manger. Nous finissons notre journée à 20h. Nous passons au marché, nous mangeons et nous nous couchons à 22h, épuisées.

Avec les heures supplémentaires, j’arrive à gagner 140$ par mois. Impossible pourtant de manger correctement, d’avoir des enfants ou encore moins d’épargner. Mon loyer est de 50$, l’eau et l’électricité coûtent 30$. Grâce aux heures supplémentaires, j’arrive à envoyer un peu d’argent à ma famille restée en Province, loin de Phnom Penh. Je leur envoie 20$ par mois. Après avoir payé tout ça, il ne me reste que 40$ pour tout le reste, y compris pour manger. Tous les ouvriers du Cambodge sont dans la même situation : nous sommes obligés d’emprunter pour pourvoir à nos besoins et ceux de nos familles.

Envoyer de l’argent à ma famille est indispensable. Sans cet argent, ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins et se nourrir. C’est pour cette raison que je suis venue à Phnom Penh et la raison pour laquelle les familles envoient leurs filles, très jeunes, travailler dans la capitale. Je suis contrainte de faire un maximum d’heures supplémentaires pour être en mesure de leur envoyer de l’argent.

Les conditions de travail sont difficiles. Elles se dégradent constamment. Il n’y a aucune sécurité, aucune hygiène. On est les uns sur les autres, il n’y a pas de place. Quand on veut aller aux toilettes, on est mal vu. On ne peut pas s’absenter de notre poste de travail. On ne peut pas parler. Après trois avertissements, on est suspendu pour une journée de travail. Le contremaitre nous insulte et nous traite d’incultes, de paysannes, d’ignorantes. Ils nous disent que si nous ne sommes pas contentes, d’autres attendent pour prendre notre place. Dans l’atelier, la chaleur est insupportable, la ventilation ne fonctionne jamais. La cadence est infernale. En plus, la grande majorité des travailleuses, comme moi, n’ont pas assez d’argent pour se nourrir correctement. La nourriture que nous pouvons nous offrir est très pauvre et pas de première qualité. Elle ne contient pas assez de calories ni de vitamines. Couplé à la cadence infernale, cela explique le grand nombre de syncope collective dans les usines de confection. En 2011, plus de 2400 travailleuses se sont évanouies d’épuisement.

Quand je tombe malade, je suis obligée d’emprunter de l’argent pour aller chez le docteur. Je rembourse ensuite l’emprunt dès que je peux mais il y a des intérêts en plus à payer.

Il y a bien trois syndicats dans mon usine, mais un seul vraiment indépendant, un seul qui tente de défendre les salariés. Malgré les pressions, les intimidations, les menaces de mort, et c’est surtout le cas lorsqu’on est une femme… Au Cambodge, les femmes doivent obéir. Elles doivent être dociles. C’est pour cela que l’énorme majorité des 600 000 salariés dans la confection sont des femmes.

Malgré cela, je ne me résigne pas. Nos droits sont tellement violés que j’ai décidé de devenir responsable syndical. Même si les droits syndicaux sont constamment violés, on veut se battre et avoir le droit de faire grève.